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SECONDE PARTIE
En réalité Y impression agréable qu’ on éprouve en examinant cette œuvre
ne provient pas seulement du coup d’œil dans le maniement du compas ou
de l’habileté à combiner délicatement le mouvement et les transitions des li
gnes ou des sacomes, mais surtout de la façon magistrale dont a été distri
buée et traitée l’ornementation sculpturale des diverses parties organiques et
accessoires de V ordre, ce qui le rend si riche et si joli. Ornementation qui
n’est pas ici «pour l’édifice ce que la broderie est pour les habits», comme
l’a dit Milizia; mais qui se marie, qui est intimement liée à cette architecture
décorative dont elle constitue par là même un élément que j’appellerai phy-
sionomique.
Le système de diviser l’étude de cette œuvre et autres travaux congénères
en analyse architectonique et en analyse ornementale ne peut donc être long
temps maintenu.
Malgré le grand nombre et la variété des ornements qui enrichissent
l’arc de triomphe de l’Eglise des Miracles, l’architecte sut habilement éviter
ce mélange indigeste et confus reproché à tant d’œuvres contemporaines, exé
cutées ailleurs par ses compatriotes. Et il y échappa en laissant çà et là des
surfaces ou intervalles libres sur lesquels l’œil trouve le repos voulu, et en
graduant dans des proportions variées le creux ou le relief des ornements,
soit par rapport à la distance, soit par rapport aux fonctions réelles ou ap
parentes des diverses parties organiques. Aussi c’est avec une extrême délica
tesse que furent sculptés les festons qui ornent les plinthes, et avec un critérium
analogue, dans les gorges droites du grand arc et de la corniche, on se passa
judicieusement des feuillages qui déchiquètent les membrures congénères de la
porte de l’Arsenal, des monuments Pasquale Malipiero et Tron, des petits autels
du transept de S. Marc, de 1’ entrée de S. Hélène, du chœur de S. Giobbe et
de plusieurs autres œuvres antérieures à S. Marie-des-Miracles. Et néanmoins ici
on se servit davantage des fusaroles anguleuses à double cône, mais légère
ment arrondies.
Dans le premier volume en décrivant le portail de 1’ Eglise des Ss. Jean-
et-Paul, j’ai cité la guirlande qui en embellit l’arcade (v. Partie î PL du fron
tispice, PI. 26 fig. 1 et page 174), et j’ ai dit ensuite un mot des autres grandioses
ornements du même genre qui existent dans l’Eglise de S. Giobbe (v. fig. 110
et 112). Mais de ces décorations si vivantes et si magnifiques, très recherchées
des maîtres toscans de la Renaissance, je ne crois pas pouvoir trouver un exem
ple plus majestueux et plus important que l’arc de triomphe de Sainte-Marie-
des-Miracles (v. Partie 11 PI. 21) et cela, tant pour le relief du grand effet des
masses et la variété des détails, que pour l’habileté exceptionnelle de l’artiste
à interpréter la nature et pour le goût délicat et même idéaliste avec lequel fut
sculpté le marbre.