LA RENAISSANCE.
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Au commencement de ce siècle, alors que des barbares et des violateurs
éhontés de nos plus précieuses gloires artistiques démolirent presque entière
ment cette grande Église, ce monument fut, lui aussi, renversé et les débris
vendus et dispersés çà et là. Mais heureusement il est facile de se faire une
idéee de sa structure et de la disposition des trois statues qui la décoraient,
grâce à la reproduction qu’en a faite à l’aquarelle Grevembroch (v. fig. 18).
La statue en costume sénatorial d’Emo achetée en 1818 par le comte
Gerolamo Vélo vicentin pour orner sa maison de campagne (*), fut ensuite,
offerte, avec une partie du sarcophage, au Musée de Vicence où j’ai pu la
retrouver (v. fig. 19).
Cette statue, qui comme celle du Doge Tron a tous les caractères d’un
portrait, est au contraire proportionnée avec beaucoup d’aisance ; mais le
vêtement semble disposé pour ainsi dire sans tenir compte de la forme du
corps, les extrémités sont traitées simplement et l’ensemble de l’œuvre (mal
heureusement détériorée par le grattage des dorures et les retouches) manque
d’une certaine finesse d’exécution.
Moins heureux, les deux pages porte-écusson ont subi un plus triste exode ;
d’une villa peu éloignée (?) de Venise où ils étaient parvenus je ne sais quand
ni comment, ils ont été enlevés pour quelques centaines de francs par M. Carer,
Lun des nombreux soi-disant antiquaires de notre ville, lequel (comme je l’ai
dit dans la première partie), après les avoir vainement offerts à l’Académie
de Venise, les a vendus à un étranger pour plusieurs milliers de francs.
Ces deux statues (v. fig. 20 et 21J, que l’élégance et la beauté des for
mes et le mérite de l’exécution permettent de classer parmi les travaux les
plus intéressants de notre Renaissance, ont été attribuées par quelques-uns
à Pietro Lombardo, mais elles n’ont au contraire de commun avec les tra
vaux de ce maître que le goût si plein de grâce du temps.
Et en effet les jolies figures, la naïve raideur militaire avec laquelle sont
disposées les mains, l’attitude, le genre de pose et la forme des jambes mo
delées avec un vérisme fort élégant, rappellent bien mieux le sculpteur de
l’Adam et du Mars de l’Arco Foscari. Cette affinité ressort encore davantage
en comparant les têtes et les visages des deux jeunes gens avec l’Ève de
Rizzo, avec la Charité, les porte-écusson et les amours en bas-relief sur le
monument, ces derniers exécutés toutefois avec un certain maniérisme (v. fig. 22).
Dans toutes ces têtes les oreilles sont toujours couvertes de la chevelure. Je
trouve également des analogies identiques de forme et de modelé dans les
extrémités et dans leurs attaches ; analogies qui deviennent tout particulière
ment évidentes en confrontant l’un des pages (v. fig. 21) avec la si célébré
Eve de Rizzo.
(’) Texte It., p. 149.