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MÉMOIRES SCIENTIFIQUES DE PAUL TANNERY.
L’élément commun est, dans les trois cas, le jugement de l’œil,
qui peut s’aider de trois appareils différents, le niveau, le cor
deau ou la règle, mais qui peut à la rigueur se suffire à lui-même.
C’est lui, en fait, qui apprécie si deux points arrivent à la même
hauteur (è£ brou), si tous ceux d’une ligne droite se présentent de
même à lui 1 , si toutes les droites d’un plan 2 remplissent la
même condition.
En fait, les définitions d’Euclide restent intraduisibles, si le
sens n’en doit être pas douteux; il a employé pour la droite et le
plan une même expression abstraite technique, qui ne trouve
actuellement sa correspondance que dans deux locutions distinc
tes et concrètes, ce qui en dénature la portée :
« La ligne droite est celle dont tous les points sont (arrivent
également) au cordeau. »
« La surface plane est celle dont toutes les droites sont à la
règle (touchent une règle posée en divers sens). »
Notre manière de penser et, par suite, notre langage usuel sont
désormais trop éloignés de ceux des Grecs du troisième ou qua
trième siècle avant notre ère, pour que nous ayons toujours la
possibilité de faire coïncider nos concepts avec les leurs ; heureu
sement, ils ont su nous en léguer assez, auxquels nous n’avons
rien eu à changer, et qui constituent le fond même de tout ce que
nous savons.
1. La définition de la droite, d’après Euclide, reviendrait donc à celle que
Proclus attribue à Platon : xà pica xotç axpotç èxixpoaQst.
2. La définition du plan, au sens d’Euclide, peut être mise naturellement
sous une forme absolument abstraite ; elle revient alors à celle qui est courante
aujourd’hui.
(Extrait de la Revue des Etudes grecques,X,
1897, pp. 14-18.)