SUR SADI CARNOT.
77
alors semé de traits, mordant sans malignité, original sans excentricité,
quelquefois paradoxal, mais sans autre prétention que celle d’une
innocente gymnastique de l’intelligence. Il avait le cœur très-chaud
sous une enveloppe froide; il était obligeant et dévoué, sincère et sûr
dans son commerce.
Vers la fin de i8n6, une nouvelle ordonnance royale ayant fait ren
trer dans la ligne les lieutenants d’état-major, Sadi demanda et obtint
de retourner à l’arme du génie, dans laquelle il reçut, l’année suivante,
à son rang d’ancienneté, le grade de capitaine.
Cependant le service militaire lui pesait; jaloux de sa liberté, il
déposa l’uniforme en 1828, afin de pouvoir aller et venir à son gré. Il
profita de ses loisirs pour faire quelques voyages et pour visiter nos
principaux centres d’industrie.
Il fréquentait alors beaucoup M. Clément Desormes, professeur au
Conservatoire des Arts et Métiers, qui a fait faire de grands progrès à la
Chimie appliquée. M. Clément Desormes prenait volontiers ses avis, il
était né en Bourgogne, pays de notre famille; cette circonstance, je
crois, les avait rapprochés.
C’est avant cette époque (en 1824) que Sadi avait publié ses Réflexions
sur la puissance motrice du feu.
Il avait vu combien était peu avancée la théorie des machines qui
mettent en jeu cette puissance. Il avait constaté que les perfectionne
ments introduits dans leurs dispositions s’accomplissaieut par tâtonne
ment et presque au hasard. Il avait compris que, pour faire sortir cet
art si important de la voie expérimentale et pour l’élever au rang d’une
science, il fallait étudier le phénomène de la production du mouvement
par la chaleur au point de vue le plus général, indépendamment d’au
cun mécanisme, d’aucun agent particulier; et telle avait été la pensée
de son livre.
Prévoyait-il que cette mince brochure deviendrait la base d’une
science nouvelle? Il fallait qu’il y attachât beaucoup d’importance pour
la mettre au grand jour et pour sortir lui-même de son obscurité
volontaire.
En effet (ses notes de travail en fournissent la preuve), il avait
aperçu la relation qui existe entre la chaleur et le travail mécanique;
et, après avoir établi le principe auquel les savants ont donné son nom,