118 L'ART NAVAL,
Les vagues frémissaient de l'avoir sur leurs croupes ;
Ses sabords mugissaient; en guise de chaloupes,
Deux navires pendaient à ses porte-manteaux ;
Son armure était faite avec tous les métaux;
Un prodigieux câble ourlait sa grande voile ;
Quand il marchait, fumant, grondant, couvert de toile,
Il jetait un tel râle à l'air épouvanté
Que toute l'eau tremblait, et que l’immensité
Comptait parmi ses bruits ce grand frisson sonore :
La nuit, il passait rouge ainsi qu’un météore ;
Sa voilure, où l'oreille entendait le débat
Des souffles, subissant ce gréement comme un bát,
Ses hunes, ses grelins, ses palans, ses amures,
Étaient une prison de vents et de murmures
Son ancre avait le poids d’une tour, ses parois
xoulaient les flots, trouvant tous les ports trop étroits ;
Son ombre humiliait au loin toutes les proues ;
Un télégraphe était son porte-voix ; ses roues
Forgeaient la sombre mer comme deux grands marteaux ;
Les flots se le passaient comme des piédestaux
Où, calme, ondulerait un triomphal colosse ;
L'abime s'abrégeait sous sa lourdeur véloce ;
,
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Ainsi s'exprime l'illustre auteur de la Légende
des siècles dans la pièce qu’il intitule Pleine mer.
parle, on l'a compris, de ce colossal vaisseau qui
reçut d’abord le nom de Léviathan, que le puri-
tanisme de nos voisins a depuis écarté parce qu’il
était celui du démon.
Ge Great-Eastern n’est pas le seul grand navire
qui ait mérité et trouvé des potes, de Noé à M. Bru-
nel, son constructeur. L'origine dés vaisseaux
géants, ou du moins des navires dont la proportion