l’édifice géométrique et la démonstration
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sait jadis lui être assuré. Sans doute, le système euclidien — dont
la marche a été réglée si sûrement — est susceptible d’une extension
continue et indéfinie. Ce n’est point toutefois en le prolongeant
que la science a le plus progressé ; la raison en tient à une faiblesse
du système qui ne s’est fait sentir qu’à la longue, mais que nous
pouvons dès maintenant apercevoir.
Nous avons dit que les Eléments sont en même temps une fin
poursuivie pour elle-même et un instrument de démonstration. Il
y a certes une grande élégance à satisfaire du même coup deux
besoins différents : mais est-on bien sûr d’y réussir? La géométrie,
en tant que fin, est l’héritière de la science pythagoricienne ; elle
note les plus belles propriétés (les plus simples, les plus sugges
tives) des figures les plus parfaites. Sont-ce bien ces mêmes pro
priétés qui rendront le plus de services pour l’analyse et pour la
synthèse? Il serait surprenant qu’il en fût toujours ainsi. L’admi
rable unité que les Grecs avaient donnée à la science n’a donc pas
pu être sauvegardée (•). Pour passer des données d’un problème à
la solution il faut souvent recourir à des intermédiaires qui ne
sont point dignes d’occuper eux-mêmes une place dans l’édifice de
la science : constructions artificielles, inharmonieuses, dépareillées,
qui souvent même sont choquantes pour la raison et lui paraissent
absurdes au premier abord. C’est ainsi qu’à coté de la science
contemplative, une technique a dû se développer, dont le but est
strictement utilitaire et qui vise seulement à accroître, par tous
les moyens possibles, la puissance de la démonstration (voir
Deuxième Livre, chap. i, § /, chap. v, § /). A ne vouloir jamais
descendre des cimes splendides qu’elle prétend explorer, la science
se condamnerait elle-même à l’impuissance.
P) II est à remarquer — nous reviendrons sur ce point lorsque nous
étudierons la géométrie algébrique [Deux, liv., chap. iv) -—- que, quelque
savamment qu’elle ait été décomposée et codifiée, la méthode de résolu-
lution des problèmes employée par les géomètres anciens est extrême
ment difficile à manier. Elle exige que l’on prenne des voies détournées
où l’on ne peut s’orienter qu’à force d’ingéniosité.