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AVERTISSEMENT
moins soucieux de la distribution logique des éléments constitutifs
de l’édifice que de la belle ordonnance des façades, cherchèrent dans
le maniement des masses architecturales, dans la science des
proportions, dans la combinaison des « ordres », des effets nouveaux
de grandeur et de beauté plastiques. Ils reprirent avec une ferveur
superstitieuse l’étude de Vilruvc, qui fut leur Aristote cl leur Platon,
un bréviaire dont le sens ne leur resta pas toujours très clair.
Raphaël, quand il fut pour un temps chargé de la direction générale
des travaux de Saint-Pierre, le fit traduire à son usage : « Je voudrais
retrouver les belles formes des édifices antiques, écrivait-il à Casti-
glione... Vitruve me donne beaucoup de lumière, sans cependant
me suffire. »
Les sculpteurs demandèrent à l’étude des statues exhumées dans
les dernières années du \v c siècle ou au début du xvi c (le Torse du Belvé
dère, l’Apollon, le Laocoou, etc., etc.) et considérées alors comme la plus
sublime expression de tout l’art antique, « le fini, la grâce souveraine »
que Vasari reprochait aux maîtres du Quallroccnto de n’avoir pas
atteints; ils dépouillèrent la manière « alrjuanlo dura e crudella » des
primitifs, pour un modelé plus souple et plus large, un choix de
formes plus pleines et plus « rondes ». Les peintres, regardant d'un
œil moins curieux et moins facilement amusé le vaste monde, renon
cèrent aux compositions morcelées et anecdotiques, aux « particula
rités » savoureuses dont s’étaient enchantés leurs prédécesseurs ; ils
acquirent la science d’une composition plus réfléchie, plus pondérée,
plus harmonieuse, la discipline de l’unité. Le costume particularisé
fit place à la noble draperie; le décor familier, géographique et pitto
resque, aux grandes simplifications généralisées dans le temps et
l’espace; les figures individuelles, aux « types » idéalisés. En toutes
choses, le particulier, l’accident, s’effacent ou s’atténuent dans l'élar
gissement d’un style plus abstrait, d’une composition plus savante
et plus synthétique.
C’est à Rome que cette esthétique nouvelle s'élabora ; c'est vers
la Ville éternelle, capitale de ce nouveau catholicisme de l’art dont la
propagande allait gagner le monde, que s’acheminèrent de l’autre
côte des monts les artistes, accourus en écoliers dociles, avides
d apprendre la langue nouvelle de la beauté, qu’ils croyaient à jamais