PRÉFACE
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tion classique était déjà fortement commencée, Venise touchait à 1’ apogée de
sa grandeur politique et de son activité commerciale, et c’était moins que ja
mais le moment propice à une transformation du goût local aussi profonde
que celle de la Renaissance, n’ ayant pour nous que le faible appui de vagues
légendes d’un lointain passé et des trophées fragmentaires.
Contrairement à 1’ assertion de quelques historiens, on ne peut certaine
ment conclure que 1’ une des autres causes pour lesquelles 1’ évolution de la
Renaissance s’opéra dans nos lagunes plus lentement qu’ ailleurs, doive être
attribuée à l’insuffisante générosité des Mécènes. En effet, même en dehors des
grands et nombreux édifices sacrés par lesquels se traduisait pompeusement
le sentiment religieux, nous avons encore aujourd’ hui dans les monuments assez
de preuves du zèle des Mécènes vénitiens d’alors pour le culte de l’Art, et
particulièrement dans les édifices privés de la première moitié du XV e siècle,
pour ne pas craindre, numériquement du moins, une comparaison avec n’ im
porte quelle autre ville.
C’ est à cette magnificence qu’ il faut en outre attribuer la venue et le
séjour parmi nous d’un si grand nombre de constructeurs et sculpteurs étran
gers, trois fois aussi nombreux que les artistes indigènes.
Le peu d’action et la lente influence de cette activité et de tant d’élé
ments divers sur la nouvelle réforme artistique montrent clairement au con
traire ce que devaient être alors et la vitalité des traditions et la prépondé
rance de l’esprit patriotique de l’aristocratie vénitienne sur l’Art comme sur
la politique non moins conservatrice que lui.
L’immuable ordonnance du Gouvernement aristocratico-républicain qui
limitait avec tant de sagesse le pouvoir du Doge, de manière que 1’ ambition
du chef électif ne pût porter atteinte à la sûreté de 1’ État, devait assurément
se refléter sur l’indépendance du prince comme Mécène, car ses libéralités en
faveur de l’Art pouvaient encore être un moyen ou principe d’émancipation
populairement politique.
Le Doge de Venise n’apparaît pas par conséquent dans l’Histoire delà
Renaissance comme les princes et souverains des autres États d’Italie qui pu
rent réunir autour d’eux ces magnifiques Cours, où comme à autant de rendez-
vous affluaient les esprit les plus vigoureux et les plus distingués. Grâce à ces
Mécènes, prodigues de leurs richesses et quelquefois aussi de celles de leurs
sujets, pour encourager magnifiquement le progrès des sciences, 1’ humanisme
et l’Art purent inaugurer ou accentuer fortement la réforme du goût dont ils
devinrent les arbitres.
Il ne faut pas croire cependant qu’ à Venise la culture littéraire et le goût
des sciences fussent négligés, car, nous en avons des preuves suffisantes, au
XIV e et au XV e siècle l’instruction était peut-être favorisée et encouragée chez