6o
PREMIERE PARTIE
Cette margelle malheureusement a été vendue en 1892 à M. Carrer mar
chand d’antiquités, très célèbre par son habileté à se procurer et à revendre
des objets d’art vénitiens, dont quelques-uns occupent aujourd’hui une place
d’honneur dans les collections étrangères j 1 ).
Heureusement cette margelle a été reproduite dans l’importante Raccoltci
delle vere da poT&o di Venefa, éditée par M. Ferd. Ongania, et j’ en ai tiré l’hé-
liotypie n.° 2 de la Planche 9.
Grevembroch au siècle dernier en a fait le sujet d’une aquarelle, y ajou
tant l’inscription suivante: Le Virtù Cardinali sedenti sul Dorso de Veneti Leoni,
servono di misterioso ornamento al poTjo di Coloro, che fabbricarono Palcu^o a Santa
Sofia oggi dal N. H. Bressa ( 2 ).
Cette vera ou margelle, comme la plupart de ses congénères postérieures
à la période byzantine, rappelle surtout dans son ensemble les formes d’un
chapiteau. Le motif principal de sa décoration est donné par quatre têtes cor
respondant aux angles de la cimaise, et dans trois de ses champs intermédiaires,
par les susdites figures allégoriques en bas-relief. La couleur rouge diaprée
de la brocatelle de Vérone dans laquelle elle a été sculptée, les corrosions
qu’a subies cette espèce de conglomérat, et enfin les mutilations accidentelles
dont elle a souffert, contribuent à donner aujourd’hui à ce travail un aspect
de forme quelque peu confus.
Les susdites quatre grandes têtes jeunes qui sortent des feuillages, sont
(autant qu’on peut en juger par leur état de conservation) bien modelées, et
les chapitaux disposés avec un certain laisser aller se distinguent par leur
désinvolture. Il faut surtout remarquer la tête bandée à cause de sa ressem
blance avec les statues inférieures du Portail de la Carta.
Les trois figures centrales ont en général de bonnes proportions, et malgré
les difficultés d’exécution inhérentes à la matière sont assez bien exécutées.
L’ amour nu soutenu par la Charité, dont les hanches manquent de profil, est
charmant, et le mouvement, ici assez peu gracieux, de ses jambes, rappelle,
comme un motif préféré, le Bambino sculpté dans le tympan de la porte qui
donne sur la Place de S. Zacharie (v. fig. 24). Quoique dans les travaux du
genre de cette margelle la figure soit en général exécutée décorativement,
toutefois comme il s’ agit de la première œuvre connue du plus grand artiste
vénitien de cette période, je dirai ici un mot de certaines autres caractéristiques
spéciales de ces sculptures. Sur les visages on observe que l’espace compris
entre le sourcil et l’œil est plutôt ample et le contour de l’orbite relevé for
tement vers l’angle extérieur: l’intervalle entre les yeux est trop petit et leur
forme est très oblongue, les paupières supérieures sont minces et mesquines,
rappelant ainsi certaines têtes des groupes des chapiteaux de la loggia Foscara
( 1 2 ) Texte It., p. 22.