LA RENAISSANCE.
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sur l’arc extrême, sans les statues expressives des anges à ses côtés, et le bas-
relief final avec les Marie devant le tombeau vide de la Résurrection (*), on
aurait ici moins un monument funèbre chrétien, que l’illusion d’un triomphe
de Rome paienne.
Telle était la marche des choses, ainsi se manifestait l’éducation raffinée
et le goût entrainé par la propagande toujours plus envahissante des traditions
antiques. Et l’artiste sut parfaitement s’identifier avec l’esprit du milieu et se
faire l’interprète de la recherche extraordinaire de la pompe et de ce puissant
sentiment d’émulation qui, à un degré démesurément orgueilleux, distinguait
nos prémières familles patriciennes.
Nouvelle si non dans les détails du moins dans l’ensemble est la pensée
du majestueux groupe qui avec des lignes si magistrales occupe 1’ arche, et
non moins admirable est la manière dont ce concept a été développé par le
sculpteur. Il est bien difficile de retrouver une figure ou un portrait qui mieux
que celle du Doge Pietro Mocenigo exprime et l’esprit guerrier et la dignité
souveraine. Et quel habile contraste entre cette imposante figure et l’attitude
gracieuse et les corps délicats des jeunes gens voisins !
Du groupe de ces trois statues la pensée se reporte à d’autres œuvres
de notre Renaissance qu’elle inspira successivement ; par exemple aux monu
ments de Giovanni Emo {v. fig. 18-21)., de Giacomo Marcello (v. la Planche du
frontispice de ce volume) d’Agostino Onigo (v. PI. 79-80 fig. 1) et de Melchiore
Trevisan (v. fig. 13); dans lequelles également la figure du protagoniste se dresse
pleine de vie sur le tombeau comme pour montrer que la mémoire des grands
hommes leur survit au delà de la mort. Excellent, sinon original, est d’ailleurs
le concept des trois guerriers d’âge différent qui soutiennent le cercueil sur le
quel est Mocénigo, statues expressives, élégamment proportionnées dans les
membres et exécutées par un maître très correct et plein de bon goût, qui
d’une manière toute particulière fait preuve d’habileté dans la figure plus ju
vénile, remarquable encore par sa cotte d’armes disposée et comprise avec
grâce et naturel.
Dans les antestatures du cercueil sont rappelés les saints patrons Théo
dore et Georges, et sur le devant aux côtés de l’inscription sont sculptées deux
actions d’éclat où se manifestèrent davantage la valeur et le jugement de Pietro
Mocenigo ; 1’ une le représente à l’entrée de Scutari et l’autre lorsque, ayant
dompté les rebelles de Chypre, il offre les clefs de Famagosta à la reine
Caterina Cornaro (v. fig. 118). Cette composition, quoique destinée à être vue
de loin et malgré ses petites dimensions, se déroule avec un grand sentiment
pictural et a le mérite d’un grand tableau.
L’inspiration des sources classiques suggérait à l’artiste ou aux commet-
(*) Texte It., p. 203.