LA RENAISSANCE.
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maître toscan n’aurait jamais choisi pour un édifice de si modestes dimen
sions et auquel il aurait sans doute donné au contraire une forme plus simple
et grandiose.
Une autre preuve caractéristique de la façon capricieuse dont Pietro Lom-
bardo appliquait les éléments de l’architecture classique nous est fournie par
les chapiteaux de ces deux ordres: ceux du bas, corinthiens, et ceux du haut,
ioniques. Je crois du reste trouver la cause de cette inversion irrationnelle
dans un concept purement décoratif de l’architecte, qui se proposait avant
tout de satisfaire la vue de l’observateur par la variété et le fini d’exécution
de ces ornements, où savaient si éminemment se distinguer les décorateurs
ses compatriotes. Aussi préféra-t-il disposer les chapiteaux corinthiens là où
une petite distance permettait d’en mieux apprécier les détails.
En tout cas, il ne faut pas oublier que c’est le premier édifice vénitien
de la Renaissance où aient été employés deux ordres classiques si bien distincts.
J’ai parlé plus haut des défauts de correspondance et symétrie, et pour
s’en rendre compte il suffira de regarder les fenêtres des côtés (‘) et celles
du fond du chœur.
Je ne sais s’il est jamais venu à l’esprit de Pietro Lombardo l’idée de
remplir les interstices libres entre ces ouvertures et les pilastres qui déter
minent les divisions du second ordre, avec l’un de ces fonds de perspectives
simulées dont il fit usage dans la façade de la Scuola de S. Marc (v. PI. 96),
adoucissant de cette façon l’impression désagréable que produisent les fenê
tres ainsi déplacées. Peut-être trouva-t-il de l’opposition, au point de vue
économique, chez les procurateurs de la fabrique, lesquels d’ailleurs ne de
vaient assurément pas attacher une grande importance à ce détail. Puis alors
on n’ y regardait pas de si près à Venise, témoin les nombreux expédients
et les accrocs si visibles dans une foule d’autres constructions de premier
ordre.
Il ne s’agit pas ici, du reste, d’une erreur directe et absolue; c’est une
conséquence du plan architectonique préféré pour la décoration extérieure de
l’édifice. En effet, étant donné l’épaisseur des murailles périmétrales (o m. 72),
l’intervalle des pilastres (2 m. 00), la largeur des pilastres angulaires om. 41,
y compris encore le contrefort (o m. 08), on comprend sans peine que des
fenêtres à double baie, larges (intérieurement) dans la nef de 1 m. 61, et de
1 m. 80 dans le chœur, ne pouvaient avoir leur axe correspondant à la ligne
médiane des divisions (v. PI. 1, 2, 6 et 7).
Défaut de correspondance qui pouvait, il est vrai, être éliminé en chan
geant de place ou division les ouvertures; mais non sans tomber dans le très
grave inconvénient de sacrifier plusieurs fenêtres.
(') Texte It., p. 208.