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SECONDE PARTIE
En vérité je ne comprends pas que Selvatico, souvent si sévère dans ses
critiques, ait entièrement pardonné à l’auteur du monument Bernardo le défaut
de lien entre les masses principales, c’ est-à-dire entre la partie renfermée dans
le contour rectangulaire et celle du haut avec entablement à statues. Je ne
puis comprendre davantage qu’ il n’ ait rien trouvé à redire à ces trois figures
qui, quoique placées si haut et par conséquent exécutées dans un but décoratif,
toutefois ne satisfont guère, étant donné le choix peu heureux des attitudes et
les proportions plutôt dénuées d’élégance.
Et si je trouve justes les éloges donnés aux gracieuses décorations qui
enjolivent cette œuvre (v. fig 136) et en particulier à l’angle majestueux et au
symbole gorgonien qui, quoique sans expression, est par sa forme l’un de nos
meilleurs fragments de sculpture, je trouve au contraire très mal à propos
cherchés ou établis les éléments de comparaison et par conséquent opposées
à la vérité les déductions par lesquelles l’écrivain attribuait ce travail à
Leopardi.
Comment et où a-t-il pu découvrir des analogies entre ces ornements et
ceux du monument Colleoni? ( v. Planche 103 et 137 fig. 3).
Est-il possible de s’écrier que certainement aucun artiste de ce temps n’au
rait pu en faire autant à Venise, si ce n’ est Leopardo, sans avoir fermé les yeux
devant les décorations de S. Giobbe.de Sainte-Marie-des-Miracles, de l’Escalier
des Géants, du monument d’Antonio Corner et de celui de Zanetti dans le
Dôme de Trevise ?
Que Selvatico ait émis parfois des appréciations, les yeux fermés et l’esprit
aveuglé par des préjugés, nous en avons la preuve dans cet autre point capital
du meilleur de ses livres, où, étudiant le monument du Doge Vendramin, il
écrit : « Il faut avouer que cette œuvre est la plus belle et la plus harmonique
» de toutes celles qui sont sorties des mains des Lombardi, du Bergamasco,
» d’Antonio Rizzo, les seuls qui travaillassent alors à Venise merveilleusement
» le marbre, et 1’ accommodassent à 1’ architecture ; et qu’ elle est exempte de
» ce peu de sécheresse, et je dirai presque, d’aridité qu’ on remarque parfois
» dans leurs œuvres. Le style du ciseau, la manière de tourner les feuillages,
» de mettre des noirs dans les attaches, la forme de certaines membrures,
» surtout dans la corniche, rappellent tellement le faire du piédestal du mo-
» nument Colleoni, qu’on ne doute plus que Léopardi ne soit vraiment l’auteur
» de ce travail, etc. ( 1 ) ».
Assertion, comme je l’ai démontré, erronée et il est facile de com
prendre les déductions qui en découlent relativement à la paternité d’autres
œuvres, comme c’ est précisément le cas du tombeau Bernardo. Tombeau prévu
par Pietro Bernardo dans son testament rédigé en 1515 ( 2 ), et élevé, selon
C 2 ) Texte It., p. 254.