SUR SADI CARNOT.
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leurs revenus, seraient engagés à vendre en portions capables d’être
cultivées par leurs nouveaux propriétaires, et à porter leur argent dans
les entreprises industrielles et commerciales.
» La concurrence des vendeurs ferait baisser momentanément le prix
des biens-fonds, et permettrait aux petites fortunes de devenir fon
cières. On verrait alors diminuer le nombre des grands domaines, qui
sont souvent mal administrés, et les fortunes considérables, changeant
de mains plus facilement, passeraient naturellement dans celles qui
seraient le plus habiles à les faire valoir.
» Des propriétaires, se faisant cultivateurs pour éviter l’impôt,
iraient se fixer dans les campagnes, où leur présence répandrait à la
fois les lumières et l’aisance; leurs revenus, dépensés précédemment
d’une manière futile, payeraient maintenant des frais et une main-
d’œuvre pour l’amélioration de leurs biens.
» L’établissement d’un pareil impôt trouverait, à coup sûr, des
opposants nombreux parmi les propriétaires fonciers non cultivateurs,
qui forment précisément le personnel le plus influent dans l’État, car
ce sont eux qui presque seuls font les lois.
» Peut-être faudrait-il atténuer leur opposition en ne soumettant
pas les propriétaires actuels au nouvel impôt, qui pourrait ne dater que
de la plus prochaine mutation, soit par vente, soit par héritage. Une
diminution du droit de mutation pourrait encore adoucir le passage
d’une situation à l’autre. En général, d’ailleurs, tout changement dans
les impôts doit se faire graduellement pour éviter les brusques révo
lutions de fortunes.
» On peut considérer la location d’un bien pour plusieurs années
comme une vente de l’usufruit pendant le temps du bail. Or la jouis
sance de neuf ans, par exemple, équivaut a plus du tiers de la valeur
de la propriété même, en supposant que le produit annuel soit un
vingtième du capital. Il serait donc raisonnable d’appliquer à cette
sorte de vente les lois qui régissent celle des biens-fonds, et par con
séquent la taxe de mutation. La personne qui ne peut ou ne veut cultiver
sa terre, au lieu d’en aliéner la propriété même, se borne à en aliéner
l’usufruit pour un temps, et le prix est soldé à des termes fixés au lieu
de l’être tout d’un coup. Voilà le fermage.
x Or, c’est par une fiction que l’acheteur paye l’impôt de mutation.