LA VIE DANS LES PHARES. 275
que je m'éveillai lorsqu'il. était. grand. jour. Me
levant alors, je commençai à mettre la pièce en
ordre. Une ou deux fois je m'arrétai pour maudire
la mémoire du vieil Écossais, le regardant comme
la principale cause de tout ce qui était advenu. Je
tachais de me fortifier contre les souvenirs de la
nuit. « Le mal est fait, me disais-je, et ce qu’on ne
peut réparer ne doit pas laisser de regrets. Au
bout du compte, ce n’est qu’un vaisseau de perdu,
ainsi qu'une foule d'autres l'ont été auparavant : il
faut que l'homme meure tôt ou tard. »
Je me parlais ainsi à moi-même, tandis que je
rangeais les meubles de la chambre, les remuant,
les changeant de place, sans autre but que celui de
m'occuper. J'avais tort de penser si légèrement à un
si grand malheur; mais ce fardeau que mon âme
portait d’abord avec une sorte d’aisance coupable,
est devenu plus lourd pour moi tous les Jours; il a
fini par surcharger ma conscience d’un poids into-
lérable. J’entends sans cesse retentir à mes oreilles
les formidables paroles du vieux gardien : « Si, par
notre négligence, un navire se perdait sur les ro-
chers qui nous entourent, la mort de chaque
homme pourrait nous être imputée à crime, nous
serions des assassins, des meurtriers! »
Assassins, meurtriers! meurtriers, assassins!
voilà les mots qui me poursuivent nuit et jour.
Le secret que je porte dans ma conscience, car
personne, excepté moi, ne connaît la triste fin du
vaisseau et de l’équipage, ce terrible secret ne me
laisse aucun repos. Je crains constamment de le