200 LE MONDE INVISIBLE.
avec des épingles sur une plaque de liége ou de
cire. Vous isolerez soigneusement chaque nerf,
chaque muscle, aprésavoir augmenté la consistance
des parties tendres en les plongeant préalablement
dans l'alcool.
Vous pourrez même employer un subterfuge très-
ingénieux, qui consiste à ensevelir votre insecte dans
une petite quantité de ciment, comme les musul-
mans le firent, dit-on, du corps de saint Jéronimo
d'Alger; puis vous couperez le solide ainsi obtenu
en lanieres que vous soumettrez à l'inspection mi-
croscopique.
Si vous prenez ces précautions, vous ne tarderez
point à reconnaître que ces insectes appartiennent
à un monde singulièrement semblable au nôtre.
Si l’on prend d’un seul bloc tout l’ensemble de la
classe, on peut même dire que c’est une nation
naturelle : c’est la société indienne parfaite avec des
castes indestructibles. Vous trouverez, en effet,
dans les rangs de ce peuple articulé, des animaux
exerçant, de droit divin et sans apprentissage, pres-
que tous les métiers des hommes ; il n’y a qu’une dif-
férence, c'est que l’ouvrier estcréé en même temps
que son outil. Le tisserand vient au monde avec sa
navette, le menuisier avec-sa varlope, le maçon
avec sa truelle. Quoique la nature ait façonné à
l'avance tous les instruments nécessaires à ces tra-
vailleurs, elle ne les a pourtant point dispensés de
toute participation active à l’évolution de la série
vivante. La lutte, le conflit darwinien, est même
pa