LA FATA-MORGANA, 21
en élévation, en distance, et en degrés de lumière et
d’ombre. En un clin d’œil ces pilastres perdirent la
moitié de leur hauteur, et parurent se replier en ar-
cades et en voûtes comme les aquedues des Ro-
mains. On vit ensuite une longue corniche se former
sur le sommet, et on aperçut une quantité innom-
brable de châteaux, tous parfaitement semblables.
Bientôt ils se fondirent, et formèrent des tours qui
disparurent aussi pour ne plus laisser voir qu’une
colonnade, puis des fenêtres, et finalement des pins,
des cyprès, répétés aussi un grand nombre de fois. »
Quelquefois ces objets se peignent dans le ciel
à une assez grande hauteur au-dessus de l’horizon.
Les uns se meuvent avec beaucoup de vitesse, les
autres sont en repos. Leurs contours brillent par-
fois de couleurs irisées. À mesure que la lumiére
augmente, les formes deviennent plus aériennes, et
elles s'évanouissent quand le soleil se montre dans
tout son éclat.
Bernardin de Saint-Pierre rapporte le fait suivant :
« Un phénomène très-singulier m’a été raconté par
notre célèbre peintre Vernet, mon ami. Étant, dans
sa jeunesse, en Italie, il se livrait particulièrement à
l'étude du ciel, plus intéressante sans doute quecelle
de antique, puisque c'est des sources de la lumiére
que partent les couleurs et les perspectives aérien-
nes qui font le charme des tableaux ainsi que de la
nature. Vernet, pour en fixer les variations, avait