AVERTISSEMENT.
considérer que les notations, il faut tenir compte des concepts; or ceux-ci
sont intimement liés à la langue dans laquelle ils sont formulés. Et ce n'est
pas parce qu'un mathématicien, comme Fermat, se sera servi de deux langues,
qu'on aurait raison de penser que la maternelle a dû, pour lui, étre naturel-
lement l'instrument de ses conceptions; à une époque oü l'instruction se
faisait en latin, oü la presque totalité des Ouvrages mathématiques étaient
composés dans cette langue, c'était celle-là qui servait principalement à
penser en Mathématiques, et il ne me parait pas douteux que Fermat n'ait
conservé jusqu’à la fin de sa vie une habitude qui est évidente pendant la
féconde époque de sa jeunesse (*).
D’autre part, si l’on vise à avoir un texte réellement intelligible, si l’on veut
faire œuvre véritable de traducteur, il faut bien remplacer par les termes
techniques en usage ceux qui sont tombés en désuétude, il faut bien traduire
aussi sous la forme moderne les notations obsolètes; sans quoi la traduction
ne présente, pour ainsi dire, aucun avantage sur le texte, surtout lorsqu'il est
en latin, puisque la connaissance de cette langue est encore assez répandue,
méme parmi les mathématiciens, auxquels il suffit d'en savoir les premiers
éléments et de posséder un vocabulaire trés restreint.
Mais, dans ce mode d'interprétation, la tàche du traducteur, s'il veut rester
fidéle, présente de sérieuses difficultés; l'emploi de nouveaux termes tech-
niques, surtout leur substitution, souvent indiquée, à des périphrases qui
alourdissent le style, tendent à faire attribuer à l'auteur des concepts qui lui
sont réellement étrangers et dont il peut étre nécessaire de bien marquer le
défaut pour rendre compte de la véritable marche des idées; d'un autre cóté,
il arrive souvent que l'emploi des notations modernes fait apparaitre immé-
diatement une conclusion qui, avec les anciennes, exige encore des dévelop-
pements plus ou moins longs. On se trouve ainsi amené à des suppressions
plus ou moins graves.
Il y a donc, et cela pour ainsi dire à chaque instant, à choisir entre deux ten-
dances, dont ni l’une ni l’autre ne peut être sacrifiée en principe : Chercher à
être le plus clair possible en tenant compte des habitudes modernes; suivre
assez fidélement le texte poür ne pas en donner une simple paraphrase. J'es-
time que, dans une traduction en regard du texte, ces difficultés disparaissent
en grande partie: il est possible alors de prendre plus de libertés et de viser
(1) Descartes, tout au eontraire, comme mathématicien, travailla en francais, sinon dés
le début, au moins de trés bonne heure, tandis qu'en Métaphysique, il trouve certaine-
ment plus commode d’écrire ses Méditations, par exemple, en latin, de se servir d’une
langue toute faite, plutôt que d’en créer une.