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LES GRANDEURS
Et le rapprochement si suggestif que nous avons établi entre les
opérations arithmétiques et les opérations laites sur des giandeuis,
ne s’est-on pas bien longtemps applique a le masquer au heu de le
mettre en lumière? L/un des plus grands algebnstes du xvi siccle,
Tartaglia (*), reproche à un traducteur d’Euclide d’avoir indiffé
remment employé dans un meme sens les mots nmltiplicai e
et ducere. Il faut, dit-il. distinguer entre ces deux mots ; le pre
mier se dira des nombres ainsi 1 on regardera 2 comme le plus
petit multiplicateur) tandis que ducere conviendra s’il s’agit de
grandeurs géométriques. Pareillement, pour désigner l’opération
de la division, on devra dire par tire ou misurare suivant que 1 on
parlera de nombres ou de grandeurs.
Cinquante ans plus tard, Viète ( 2 ) considère encore la science
des nombres et celle des grandeurs comme ayant des règles pa
rallèles mais distinctes. C’est à Descartes que revient Je mérite
d’avoir affirmé, sans restriction, l’identité du calcul numérique et
du calcul géométrique ( 3 ) :
« Et comme toute l’arithmétique, — dit Descartes ('") dans un
langage précis et définitif, — n’est composée que de quatre opéra
tions, qui sont l’addition, la soustraction, la multiplication, la
division, et l’extraction des racines qu’on peut prendre pour nue
espèce de division, ainsi n’a-t-on autre chose à faire, en géométrie,
touchant les lignes qu’on cherche, pour les préparer à être connues,
que leur en ajouter d’autres, ou en ôter; ou bien, en ayant
nombres phialites, ou relatifs aux fioles, des nombres mélites, ou relatifs
aux troupeaux (ou aux pommes). Et c’est pourquoi les problèmes concer
nant les grandeurs étaient énoncés sous forme concrète et non sous forme
théorique : ce qui est pour nous la « résolution d’une équation de tel
ou tel type » (infra, Deux, lia., chap. 1) était autrefois « la solution du
problème des bœufs », du « problème des arbres », du « problème des
lapins », du « problème des sept vieilles femmes », du « problème des
oiseaux» (voir Luca Paciuolo, Summa de Arithmetica, passim). Semblable
terminologie se retrouve chez les Hindous et chez les Arabes, pendant tout
le Moyen Age et au début de la Renaissance.
(•) General Irattato. liv. Il, fil. 1 7. Cf. le début de l’Algèbre
d’O-MAR AL KHAYYAM, cité au n° 278.
( 2 ) In artem analyticam isagoge, T 55 t, ch. IV.
(’*) Vide supra, p. no, note i. Sur 1 histoire du calcul géométrique avant
Descartes, voir Deux, lia., ch. III, § i.
(*) La Géométrie, liv. I (Giua., t. VI, p. 36n).