CONFRONTATION DU NOMBRE ET DE LA GRANDEUR
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« grandeur [puisque la fragmentation répétée conduit à des parties
« de plus en plus petites] tellement grandes qu’elles soient infinies
« [puisque chaque partie comprend une infinité de parties].» D’où
une contradiction qui condamne l’hypothèse pythagoricienne.
C’est peut être la même contradiction que Zenon cherche à mettre
en lumière dans l’argument célèbre à'Achille et de la tortue (*).
Achille, courant après une tortue, ne la ratrappera pas; en clï'et,
soit a l’avance de la tortue [c'est une longueur, donc une pluralité
de points, d’après la théorie à combattre] ; lorsque Achille aura
parcouru la distance a, la tortue aura parcouru une nouvelle dis
tance b ; cette distance il faudra qu’Acbille la parcoure à son tour ;
pendant ce temps, la tortue s’avancera de c ; et ainsi de suite indé
finiment, la tortue restant toujours en avant. On voit comment se
peut expliquer ce paradoxe : le raisonnement de Zénon décompose
en une infinité de longueurs partielles, a plus b, plus c,... la dis
tance au bout de laquelle Achille rattrappe effectivement la
tortue, et il imagine que, pour parcourir chacune de ces parties là
tortue emploie un temps appréciable. Ces hypothèses ne sont pas
conformes aux conditions physiques dans lesquelles s’effectue la
poursuite. D'où cette conclusion naturelle qu’il n’est pas permis
de regarder une distance comme une somme de parties discernables
ou de points. Une pareille conception conduit à des conséquences
absurbes et rend impossible l'explication mathématique des faits
physiques.
108. — M. Milhaud résume en ces termes ( 2 ), le rôle joué par les
philosophes d’Elée (Parménide et Zénon) dans l’évolution des ma
thématiques. Pythagore a dit « les choses sont nombres ». « En
disant ; non, les choses ne sont pas nombres, Parménide et Zénon
rendaient bien plus facile l’application du nombre aux choses; car
rien ne s’opposait plus désormais à ce que le nombre s’y appliquât
indéfiniment dans les deux sens, rien ne s’opposait plus au concept
scientifique de l’infiniment grand et de l’infiniment petit ». La
(*} Nous ne parlons pas des conséquences que l’on peut tirer des argu
ments de Zénon relativement au mouvement. Peut-être, d’ailleurs, la
question du mouvement n’est-elle que secondaire dans la pensée du
philosophe d’Elée. Cf. Paul Tannery, toc. cit.
( 2 ) Leçons sur les origines de la science grecque, 1898, p. 219.