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DÉRIVÉE, PENTE OU FLUXION D’UNE FONCTION.
Passons maintenant à un autre mode de représentation de la fonc
tion donnée, et supposons que celle-ci, désignée par p = f{t), mesure
aux diverses époques t une quantité de matière variable, accumulée
dans une région donnée de l’espace. Alors son accroissement Ap (po
sitif ou négatif), simultané à un très petit accroissement positif A t
de la variable, exprime la quantité de matière qui a, durant cet instant
Ai, affilié du dehors dans la région dont il s’agit; elle rapport ,
constant quand on suppose cette affluence pareille pour des temps
égaux ou proportionnelle au temps, est ce que deviendrait, dans cette
hypothèse simple d’une affluence uniforme, l’accroissement Ap de la
quantité de matière, si l’on prenait Ai = r, c’est-à-dire au bout d’un
temps égal à l’unité choisie de durée. Or, à cause môme de l’existence
de la dérivée f — f\t), l’uniformité tend, en effet, à se réaliser, pen
dant tous les petits temps successifs en nombre m quelconque con
tenus dans M, lorsque M s’approche indéfiniment de zéro. Donc la
dérivée f'{t), limite du rapport , représente, pour l’époque pré
cise t, Vafflux de matière rapporté à l’unité de temps. Aussi, à ce
point de vue, peut-elle s’appeler simplement le flux ou, comme disait
Newton, la fluxion de la fonction p; et Newton qualifiait celle-ci,
par opposition, de quantité fluente, c’est-à-dire s’écoulant ou va
riable.
La fluxion est ainsi l’expression d’un changement effectué surplace,
ou plutôt de la rapidité de ce changement à un moment donné.
Mais elle devient celle d’un changement de place ou mouvement pro
prement dit, quand la fonction, que j’écrirai x— f{t), est une coor
données d’un point mobile. Alors la dérivée /'( t) représente l’accrois
sement qu’éprouverait la coordonnée en question dans l’unité de
temps, ou le chemin qui s’y trouverait parcouru suivant le sens de
l’axe coordonné correspondant, si le mobile continuait à se mouvoir,
pendant toute celte unité de temps, comme il le fait au moment que
l’on considère. Elle prend le nom de vitesse et devient évidemment
l’expression, la mesure même du mouvement. C’est, à proprement
parler, celte vitesse que Newton appelait fluxion : dans un écoulement
de liquide (qu’on pourrait prendre comme image du mouvement),
elle représente à chaque instant, au moins proportionnellement, le
flux ou le débit, volume fluide (rapporté à l’unité de temps) qui
passe alors par un endroit donné, et son nom de fluxion se trouve ainsi
parfaitement justifié.